Gatsby le Magnifique, Luhrmann vs Fitzgerald

Baz Luhrmann n'a pas froid aux yeux. Après avoir retranscris la passion de Roméo et Juliette et la frénésie du Moulin Rouge, le réalisateur australien s'attaque à un monument de la littérature américaine, Gastby le Magnifique.
Ce roman incarne à lui seul le rêve américain, la folie des grandeurs, le mythe du self-made man.
Cela n'est pas sans rappeler les origines de Francis Scott Fitzgerald. Issu d'un père assez modeste et d'une mère plus fortunée, il est un étudiant lambda, peu assidu aux cours. Puis, il s'engagea dans l'armée. Il rencontra l’exubérante Zelda sa future femme, et le succès avec l'Envers du Paradis.
Devenant le symbole de sa génération, il côtoya les plus grands, entre fêtes vertigineuses, alcool de contrebande et séjours en Europe. Bolides, jazz, champagne et fantaisies font partie du quotidien. Puis peu à peu, le luxe laissa place à la maladie, à la rancoeur et aux dettes. Après avoir brûlé sa vie, Fitzgerald mourut à seulement 44 ans d'une crise cardiaque.

(Si vous avez l'intention de lire le roman/de voir le film et que vous ne voulez rien savoir de l'histoire, ne lisez pas la suite de cet article...)
L'ambitieux Nick Carraway s'installe à New York dans l'espoir de faire carrière à Wall Street. Il s'installe dans une minuscule maison, située dans les plus chics quartiers de la ville. Non de loin de là, réside sa riche cousine Daisy.

Son voisin est un certain Gatsby, l'homme le plus fortuné et mystérieux de New York, qui organise des fêtes flamboyantes chaque semaine. Peu à peu, Nick et Gatsby se lient d'amitié. Le jeune agent de change va découvrir que les frivolités de la vie mondaine cachent des secrets, des déceptions et autres lâchetés. Le rêve américain n'est peut-être pas si idyllique que ça...

Alors, si le livre est un chef d'oeuvre, qu'en est-il du film?
Une chose qui ne vous décevra pas, c'est la façon dont Baz Luhrmann est capable de retranscrire des petits détails à l'écran. Par exemple, lorsque Nick se rend pour la première fois chez Daisy, cette dernière est oisive dans son salon, où les fenêtres ouvertes vont voler les rideaux au vent. Cette sensation d'insouciance, de légèreté et d'émerveillement qui peut atteindre Nick à ce moment dans le livre est parfaitement mise en scène à l'écran. Les costumes et les décors sont impeccables.
De même, les réceptions de Gatsby sont extravagantes. Les images donnent le tournis et sont presque trop léchées. Cela est peut-être lié à la technologie 3D (j'ai vu le film en version 2D, mais est-ce que les images sont retouchées pour tous les formats?)?
Certains spectateurs semblaient gênés par la bande originale moderne. Mais au contraire, j'ai trouvé que cela donnait encore plus de folie, de clinquant aux scènes. Certes, une musique jazz aurait été complètement en accord avec l'époque, mais cela aurait-il suffit pour illustrer la démesure des fêtes? On a de l'empathie et on s'identifie à ces personnages qui s'éclatent sur du Will.i.am plus que sur du Duke Ellington (même si je n'ai rien contre Duke Ellington)... Découvez ci-dessous le titre Bang Bang, à la fois rétro et actuel :

Mais mon réel coup de coeur revient à Carey Mulligan. Je trouve qu'elle incarne Daisy à la perfection. Tout du moins, exactement comme je la percevais dans le roman. Comme un personnage fugace et volatile, un peu paumé, tout en séduction, mais cruellement immature. Daisy est complexe. Elle cherche la passion et le frisson. Elle est également influençable et n'assume pas ses responsabilités. Carey Mulligan arrive à incarner cette délicate poupée toujours sur le fil et si éloignée de la vie réelle.
A ses côtés, Joel Edgerton campe Tom, son mari et son miroir. Certes il est violent et bourru, à l'opposé de la douce Daisy. Mais, il est tout aussi vide de sens et irresponsable qu'elle.

Leonardo DiCaprio est bien sûr idéal en Gatsby. Mystérieux, ambigu et fantasque, il s'accroche assidûment son rêve. La lumière verte de l'autre côté du lac est insaisissable et pourtant, il veut la capter. On le sent prêt à péter les plombs à tout moment si tout ne se déroule pas comme prévu. Comme Nick, nous pardonnons son côté voyou, portés par l'espoir communicatif de Gatsby. Nous lui souhaitons de parvenir à ses fins, quel qu’en soit les moyens, nous sommes prêts d'oublier que la réalité ne peut être à la hauteur de cette vie fantasmée par Gatsby et que la désillusion est poche.
Tobey Maguire nous livre un Nick Carraway tout en candeur, qui perdra progressivement ses illusions et la foi en ses semblables.

Alors certes, si on confronte le livre et le film, on trouvera forcément des différences. La situation dans laquelle se trouve Nick est inventée, mais elle lui fournit un alibi pour devenir le narrateur de l'histoire.
La retranscription des derniers chapitres est peut être rapide. On regrettera l'absence de la rencontre avec Pammie qui surprend tant Gatsby, ainsi que celle de Mr Gatz qui nous permet de saisir le Jay Gatsby intime.

Mais là où Baz Luhrmann a réussi un tour de force, c'est qu'il fait de ce film un divertissement (avec des scènes enjouées et parfois amusantes), une romance tragique (évidemment entre Gatsby et Daisy), mais surtout une transcription de la chute du rêve américain, tel qu'on la perçoit dans le livre.
Ainsi, le parcours fulgurant de Gatsby mais surtout le regard désabusé de Nick, nous montrent que l'insouciant univers des nantis n'est qu'un mirage, que le temps des fêtes éclate plus vite qu'une bulle de champagne, et qu'il n'en reste ensuite que l'amertume et le drame.

Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald, disponible aux éditions Folio, le Livre de Poche, ou encore Pocket.
Gastby le Magnifique de Baz Luhrmann, avec Leonard DiCaprio, Carey Mulligan, Tobey Maguire, durée 2h22

-Cél.